L'histoire du cénotaphe (1) de Joseph HERFS

30 novembre 1944 : les combats font rage en Alsace Bossue. L’armée Américaine lance l’offensive pour libérer l’Alsace et repousser l’armée allemande. Sur le chemin du Schönweg, dans la forêt de Tieffenbach à la limite vers Frohmuhl, un éclat d’obus touche le casque d’un soldat de la Wehrmacht et le tue sur le coup. Il s’agit de Joseph HERFS né le 25 septembre 1925 à Laffeld petit village près d’Aix la Chapelle.
Le lendemain ou surlendemain le pasteur de Struth profite d’une accalmie pour se rendre à Hinsbourg et découvre le corps du soldat dans la forêt. Il vérifie les affaires du soldat et constate qu’il s’agit d’un homme de religion catholique. Il arrive à Frohmuhl, et informe la famille Dinkel pour qu’ils demandent au curé de Tieffenbach d’enterrer le mort dans le cimetière communal.

Balbine Dinkel accompagnée de ses deux filles Lucie et Balbine, alors âgée de 14 ans, se rendent sur place et trouvent le soldat étendu au pied d’un gros hêtre. Il faudrait récupérer la dépouille mais elle doivent attendre un moment plus calme car les combats font encore rage dans la région. Quelques jours plus tard Balbine Dinkel voient passer devant leur maison une jeep américaine avec le corps du jeune homme jeté sans ménagement à l’arrière du véhicule. Cela la bouleverse profondément. Ils apprendront plus tard que le corps a été transféré à St Avold où il sera enterré.

En se rendant à nouveau sur place elles trouvent des papiers et objets personnels du soldat éparpillés autour du gros hêtre dont une lettre destinée à sa mère avec cette mention dont se souvient encore Balbine aujourd’hui « Muttter mach Dir keine Sorgen… » (Maman ne te fait pas de soucis).

La guerre se termine quelques mois plus tard. La famille Dinkel est aussi touchée car si Théodor est bien rentré elle est toujours sans nouvelles de l’autre fils Félix. Le dernier contact a eu lieu complètement par hasard en janvier 1945 entre les deux frères en Finlande. Ils n’auront jamais d’autres informations malgré les nombreuses lettres et recherches effectuées après-guerre. Ce fût aussi le cas de 40 000 autres Malgré-Nous qui furent tués ou ont disparu sans laisser de traces pour leurs familles.

N’ayant pas de lieu pour honorer la mémoire de Felix et comprenant que la famille de Joseph Herfs est probablement dans le même cas, ils décident de marquer l’endroit, où est tombé le soldat, d’une croix surmontée de son casque. Cet endroit sera entretenu et fleuri jusqu’à ce jour.

A la fin de la guerre la famille Dinkel entre en relation par courrier avec la famille Herfs. Au fil des échanges la famille Dinkel informe qu’elle sait où se trouve leur fils et les conditions de sa mort. Ils leur font parvenir les papiers et les quelques effets personnels trouvés à proximité. Les échanges de courriers continuent de nombreuses années puis cessent vers 1976 probablement en raison du décès de la mère de Joseph Herfs.

En 1961 Eugène Kuster de Frohmuhl, tailleur de pierres chez Rauscher, informe la famille qu’il vient de tailler le nom de Joseph sur une croix destinée au cimetière militaire allemand de Niederbronn. Il est enterré dans la tombe N°283 du carré 23. Ils y retrouveront enfin la vraie tombe du soldat reposant là en compagnie de 15000 autres camarades allemands tombés durant le conflit. Baldine s’y rend au moins une fois par an pour fleurir la tombe de Joseph qui fait désormais partie de leur famille.

Le 26 décembre 1999 lors de la tempête Lothar le gros hêtre est déraciné et écrase le cénotaphe. Cela n’empêche pas Balbine à retrousser les manches et de reconstruire le mémorial un peu plus loin vers Frohmuhl. Le casque d’origine, volé à ce moment-là, est remplacé.
Il y a quelques mois, Roland Letscher maire de Tieffenbach photographie cette croix qu’il connaissait depuis sa jeunesse mais à laquelle il ne s’était jamais intéressé. Il effectue quelques recherches et rencontre Balbine qui lui raconte cette belle histoire. Les contacts sont pris avec le directeur du cimetière de Niederbronn Bernard Klein, citoyen de Lohr. Les contacts avec le Volkbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge à Kassel permettent de confirmer la date de la mort du soldat sur le ban de Tieffenbach ainsi que son affectation à la compagnie 416 du Régiment d’Infanterie 2085. D’après le directeur ce type de tombe est assez rare et il n’en connaissait pas l’existence.

Balbine, aujourd’hui âgée de 82 ans, est encore en pleine forme et continue à entretenir le cénotaphe, mais elle a déjà pris les devants et sait que plus tard son neveu poursuivra ce devoir de mémoire ….

(1) Un cénotaphe est un monument élevé à la mémoire d'une personne ou d'un groupe de personnes et dont la forme rappelle celle d'un tombeau, bien qu'il ne contienne pas le corps.